Archives de la terreur

 

Passionnante leçon d'histoire que celle proposée par Une jeunesse allemande, documentaire français sous-titré Allemagne 1965-1977, de la bataille des images à la lutte armée. Au moyen exclusif de documents d'archives inédits, sans commentaires, Jean-Gabriel Périot examine l'évolution du groupe d'étudiants indignés qui devient, au tournant des années 1970, la tête pensante de la Fraction armée rouge, la fameuse bande à Baader.

Sur des images aussi rares que précieuses, il nous donne à observer Andreas Baader, Gudrun Ensslin, Holger Meins, des étudiants en art et en philo, et surtout la journaliste Ulrike Meinhof. On les découvre à leurs débuts, bien avant qu'ils n'envisagent de commettre des attentats. Par les moyens d'actions artistiques, médiatiques et cinématographiques aujourd'hui oubliées, ces jeunes Allemands nés pendant la Seconde Guerre mondiale exprimaient alors leur colère face à une société dont ils refusaient d'être dupes. À tort ou à raison, ils l'accusaient de dévoyer le sens du mot « démocratie » et de les mener droit au fascisme en les condamnant au « capitalisme tardif ». Ce n'est que par la suite qu'ils glissèrent vers la violence et, comme dit l'un d'eux, « nous n'avons pas inventé la violence, nous l'avons rencontrée ».

 

Changement de vocabulaire

Dans sa façon de mettre en perspective ces déclarations et des faits historiques comme la guerre du Vietnam ou la visite du Shah d'Iran en Allemagne en 1967, le film donne à réfléchir sur l'enchaînement des discours, mais aussi sur l'impossible dialogue entre les contestataires et leurs gouvernants. « Ce que l'on voit se mettre en œuvre, dit Jean-Gabriel Périot, c'est à la fois l'appauvrissement terrible de la parole politique, mais aussi le changement de vocabulaire. »

Ainsi les médias présentent tout d'abord Ulrike Meinhof comme une journaliste, puis comme une anarchiste. « Elle ne devient vraiment une "terroriste" que quand on commence à la désigner comme telle », relève le réalisateur. Une évolution qui laisse songeur, donnant à voir la façon dont les politiques exploitent la peur, au besoin en fabriquant les terroristes avant même que ceux-ci ne passent à Pacte.

 

Alexis Campion
Le Journal du dimanche
11 octobre 2015